« Je ne m’arrêterai que lorsque mes yeux se fermeront » – pourquoi nous devons continuer de faire vivre les histoires des défenseures des droits humains

16 juillet 2019

 

Cet article a été publié en partenariat avec Association for Women’s Rights in Development (AWID) .

Auteur: Laila Malik

Traduction française: Morgane Boëdec.

 

Les défenseures des droits humains ont toujours été la force motrice des mouvements mondiaux de libération. Ces mouvements ne peuvent devenir des réalités que si l’on continue à donner vie à leurs histoires.

« Titigil lang ako pag pikit na ang mata ko! Ano pa ba ang magagawa ko e patay na ako Hindi ito para sa akin, kundi para sa mga apo ko, masakit ang loob ko kapag nakikita ko silang nagkakasakit. »
[Je ne m’arrêterai que lorsque mes yeux se fermeront ! Qu’est-ce que je pourrais faire d’autre quand je serai morte ? Ce n’est pas pour moi, mais pour mes petits-enfants, j’ai le cœur brisé chaque fois qu’ils et elles sont malades !]
Gloria Capitan, activiste anti-charbon, Batan, Philippines

 

Peu importe la fréquence à laquelle Gloria Capitan essuyait les comptoirs de son épicerie de bord de route, la poussière de charbon revenait s’y déposer. Quelques mois après son ouverture par la grand-mère philippine en 2014, le département local de la Santé est venu ordonner la fermeture de l’épicerie. La réserve de charbon avoisinante, la source de toute cette poussière, elle, est restée ouverte.

Mais Capitan a refusé de baisser les bras. Elle a obtenu la signature de 1 000 personnes sur une pétition appelant à la fermeture de la réserve de charbon. Elle a monté un groupe de militant·e·s constitué de voisin·e·s aux prises avec la même réalité quotidienne. Alors que ses petits-enfants souffraient de crises d’asthme, de bronchites aiguës et d’éruptions cutanées, que ses manguiers et cocotiers se desséchaient sous un film de poussière de charbon, elle a transformé son épicerie en bar karaoké – pour lequel les exigences sanitaires étaient moindres – tout en s’impliquant dans des actions militantes en lien avec le changement climatique à Manille. Du fait de son militantisme, l’entreprise de charbon a dû couvrir sa réserve de charbon afin de réduire les poussières atmosphériques.

Mais l’entreprise continuait néanmoins à brûler du charbon et des produits chimiques. Une centrale au charbon non loin de là détruisit les fermes maraîchères avoisinantes. La tuberculose commença à enregistrer des pics de fréquence dans sa région. Et Capitan continua son militantisme, devenant une leader du Coal-free Bataan Movement et la présidente de l’Association des citoyen·ne·s uni·e·s de Lucanin.

Puis, en 2016, elle commença à recevoir des visites menaçantes d’hommes non identifiés, l’avertissant qu’elle devait mettre un terme à ses actions contre le charbon, ou en subir les conséquences. Ce qu’elle refusa. En juillet de la même année, Gloria Capitan, mère de cinq enfants et grand-mère de 18 petits-enfants, propriétaire d’un bar karaoké de bord de route, fut abattue à l’arme à feu par des assaillants non identifiés, devant ses petits-enfants, sur son lieu de travail.

Pourquoi est-ce que l’histoire de Capitan est importante ?

Dans ce monde capitaliste, la vie sur Terre vacille dangereusement entre la dévastation de l’accélération du changement climatique et la montée des fascismes, des fondamentalistes et de l’autoritarisme. L’histoire de Capitan l’illustre bien : les femmes, les personnes trans et intersexes et les communautés sont exactement dans leurs lignes de mire.

Arundhati Roy est connue pour avoir dit : « Nous [U1] savons tous que les ’sans-voix’, ça n’existe pas. Il n’y a que des voix délibérément tues, ou celles que l’on préfère ne pas entendre. » À l’époque de l’Internet, et dans le contexte d’aggravation de ces crises, la peur, les traumatismes multiples, l’éreintement, la surcharge d’information et l’épuisement de la compassion peuvent brouiller les récits de résistance de ces défenseures des droits humains. Mais laisser des histoires telles que celle de Capitan tomber dans l’oubli serait une effroyable trahison de l’espoir pour lequel elles ont donné leur vie. Et sans cette affirmation d’espoir, il ne peut y avoir d’autre réalité ou d’avenir que la catastrophe.

Prenez Ottile Abrahams, enseignante, rebelle, féministe et activiste radicale africaine qui a mobilisé des femmes, organisé des étudiant·e·s et des enseignant·e·s et s’est battue contre l’élitisme et la corruption systémiques pendant plus de six décennies. Abrahams a cofondé des organisations telles que la SouthWest African People’s Organisation (SWAPO) de Namibie, le Yu Chi Chan Club (un groupe révolutionnaire armé), le South West African National Liberation Front (SWANLIF) et la Namibian Women’s Association and Girl Child Project, démantelant délibérément le patriarcat, et favorisant par là même une pratique féministe démocratique participative. Est-ce que l’histoire de ses débuts à 14 ans dans des groupes de lecture clandestins pourraient inspirer un ou une jeune adolescent·e démoralisé·e dans un autre pays occupé de la même façon, en 2019 ?

Et qu’en est-il de Lorraine Gradwell, qui a transformé le paysage des droits des personnes en situation de handicap au R.-U., de l’introduction des premiers taxis noirs accessibles de Manchester et des versements directs aux personnes en situation de handicap leur permettant de vivre en toute indépendance, à la création de la coalition de la Greater Manchester Coalition of Disabled People and Breakthrough UK, une organisation de soutien aux personnes en situation de handicap pour qu’elles vivent et travaillent en toute indépendance. Est-ce que l’histoire de son incessante mobilisation en faveur du modèle social du handicap – qui envisage le handicap comme la conséquence de la manière dont la société est organisée, plutôt que comme le résultat d’une déficience ou d’une différence – pourrait radicalement changer la manière dont les communautés en quête de justice dans d’autres contextes s’organisent ?

Les défenseures des droits humains sont à la fois les leaders et les nombreux cœurs battants de mouvements qui ont le pouvoir de faire passer notre planète de la crise à la guérison. Selon les propres mots de Lohana Berkins, l’activiste et militante argentine pour les droits des trans qui a posé les bases de la très progressiste loi sur l’identité de genre et fondé l’une des premières organisations de défense des droits des personnes trans et l’une des premières coopératives textiles pour les personnes trans en Argentine :

Nombreuses sont nos réalisations au fil des ans. C’est le moment de résister, de continuer à nous battre. C’est maintenant l’heure de la révolution, car nous ne retournerons pas en prison. Je suis convaincue que le moteur du changement est l’amour. L’amour qui nous a été refusé est celui-là même qui nous incite à changer le monde.
Tous les coups que j’ai reçus et toute la négligence que j’ai endurée ne sont rien en comparaison de l’amour infini qui m’entoure actuellement[U3] .

En partageant leurs histoires, nous rallumons la flamme et répandons l’amour et l’espoir, redonnons naissance à la résilience créative sous forme de réalités féministes qui sauveront notre planète. C’est à la fois notre immense responsabilité, et notre plus beau cadeau.

 


Selon la campagne #VisibleWikiWomen (#WikiFemmesVisibles), moins d’un quart des biographies sur Wikipédia présentent des femmes. Beaucoup de biographies de femmes remarquables n’existent pas ou sont incomplètes, et le manque d’images les représentant est aussi l’un des principaux défis. La campagne estime que moins de 20% des articles qui parlent de ces femmes importantes contiennent des photos.

Les connaissances et contributions des femmes dans le monde sont invisibles de bien des manières. Lorsque le visage des femmes n’est pas représenté sur Wikipédia, cette invisibilité s’étend. Un demi million de personnes lisent Wikipédia chaque mois ce qui en fait le 5e site web le plus visité du monde. De ce fait, les manques de Wikipédia ont un gros impact sur l’Internet en général. Ensemble, nous pouvons rectifier cela et rendre les femmes plus visibles sur Wikipédia et sur la toile en général. Faisons en sorte que les visages de ces femmes et leurs accomplissements soient au centre d’Internet.

Joignez-vous à la campagne Whose Knowledge? #VisibleWikiWomen qui débute chaque année le 8 mai.


 

[U1] I could not find the official French quote. My translation.

[U3] « in these moments » which I understand to mean « these days ».

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